gamine s'impatiente, à regarder les minutes défiler sur l'horloge murale, le regard fuyant la personne qui se trouve devant elle, n'écoutant guère les conseils prodigués à la petite assemblée dont elle fait partie, préférant tourner ses pupilles en direction de son voisin. elle n'a pas envie d'être ici mais fait croire le contraire, trop bonne menteuse. elle aurait préféré ne rien faire, quitte à rester chez elle, mais sieun s'avoue une nouvelle fois vaincue et doit encore se plier aux contraintes imposées par ce stupide pari qu'elle a accepté, faire des choses dont elle n'a pas envie : date improvisé avec le garçon de l'école le plus difficile à approcher, yungjae. première étape gagnée depuis plusieurs semaines, gloire personnelle dont elle se vante secrètement, avoir réussi une quasi prouesse que personne n'attendait : ne pas s'être fait rejeter comme toutes les autres filles passées avant elle, sieun ayant (elle l'espère), suscité la curiosité de l'étudiant inatteignable.

le besoin impératif de trouver quelque chose d'original afin d'éviter la lassitude qu'elle ne souhaite pas lire dans les yeux de yungjae, subtile envie de le garder près d'elle encore une fois et de lui voler sa journée. idée lentement germée dans sa tête, proposition inattendue d'une demoiselle qui n'est pourtant pas la plus douée avec le troisième art, cours de peinture au musée des beaux-arts de la capitale et qu'il a accepté, de quoi renforcer un peu plus l'allégresse de sieun. réjouissance qu'elle laisse subtilement transparaître devant lui, mais aux raisons plus obscures : sieun en bonne voie pour réussir le défi imposé par sa bande d'amis.

c'est sûr ? on ne peut vraiment pas faire de body-painting ? sieun insiste depuis plusieurs minutes et déception s'affiche instantanément sur son visage quand on lui répond pour la énième fois négativement. j'aurais au moins essayé. sourire qu'elle adresse au garçon qui se tient à ses côtés, bras, visage, dos de yungjae sur lesquels elle aurait aimé laissé sa trace, quitte à paraître trop audacieuse. alors elle se tient là, frustrée, devant sa toile immaculée. les paroles de l'enseignante complètement oubliées, sieun les jambes croisées sur son tabouret, trop occupée à réfléchir au futur chef d’œuvre qu'elle s'est promis de réaliser, si elle se sent d'humeur artistique. palette placée à côté d'elle, à tremper son pinceau pour la première fois dans la peinture aquarelle, idées qui se bousculent dans son imaginaire, et qu'elle ne saura pas reproduire, elle le sait, gamine à l'esprit plus abstrait que naturaliste. je ne suis pas trop nature morte... que sieun lance tout bas, déviant son regard du vase de fleurs posé devant eux vers le visage de son date. yungjae définitivement plus attrayant. est-ce que je peux te proposer à la place... un challenge ?

L'expression froide et fermée se fait douce malgré lui. La sortie lui fait un bien qu'il ne soupçonnait pas. Certes, sa voix ne brise que rarement son silence presque mutique, mais il ne s'en retrouve pas opprimé, comme c'est souvent le cas lorsqu'il est entouré des mauvaises personnes. Les yeux rivés sur sa toile, le pinceau s'applique avec la délicatesse qui le caractérise si bien lorsqu'il n'est pas en proie à sa jalousie maladive douée de son impulsivité brûlante. Du bleu. Du rouge. Du vert. Du jaune. Yungjae ne s'adonne que très rarement à ce genre de sorties, normalement trop englué dans ses responsabilités de président du conseil des élèves lorsqu'il ne passe pas son temps le nez dans ses bouquins. Il a aussi très peu d'amis, préférant s'isoler plutôt que de montrer un côté vulnérable de lui aux autres. Néanmoins, il commence à considérer Sieun comme une amie, même si l'attachement va probablement un peu plus loin que de la simple amitié.

La belle s'évertue une nouvelle fois à questionner leur professeur du jour, ce qui a le mérite de lui arracher un mince sourire en coin. Lui s'efforce de se concentrer sur sa peinture même s'il n'a pas vraiment l'âme d'un artiste. Ou pas dans ce sens-là, en tout cas. Cependant, il prend plaisir à tenter la chose jusqu'à ce que son rencard du jour ne lui propose autre chose. La tête se tourne afin que ses prunelles puissent détailler ses traits délicats. Happé par la curiosité, Yungjae affiche une expression allant dans ce sens. "Quel genre de challenge?" Sa voix est basse et soyeuse lorsqu'il s'exprime et on lui a souvent dit que c'était quelque chose qui faisait flancher les demoiselles. Très peu concerné par cette information, toutefois.

Le Jung attend patiemment que sa partenaire lui dévoile ce qu'elle a en tête tout en se replaçant sur son banc qui commence à être quelque peu inconfortable. Loin de lui l'idée de se plaindre ; il a malheureusement appris à ses dépens que ça n'apportait rien. Rouler les épaules pour en chasser la lourdeur qui commence à s'installer. Puis Yungjae jette un coup d'oeil sur la toile encore vierge de Sieun avant de reporter son attention sur la sienne où règnent certaines couleurs. Son perfectionnisme ne tardera pas à se présenter, il le sait.

pas encore tableau, la toile demeure vierge, d'une blancheur démesurée, immunisée contre la ribambelle d'idées floues de sieun. elle regarde nonchalamment dans le vide, pupilles bloquées sur le vase de fleurs ou la coupe de fruits, cette dernière ne lui évoquant qu'une irrésistible envie de grignoter quelque chose. son soupir s'entend presque, la demoiselle se force à rester dans la pièce pour ne pas décevoir le garçon assis à côté d'elle, et peut-être aussi, chose qu'elle refusera catégoriquement d'admettre, l'envie de faire bonne impression auprès de lui, unique âme qui la pousse à subir les interminables explications de ce professeur d'art. sieun ne convoite presque rien, si ce n'est de faire ce qu'elle prévoit depuis qu'elle est arrivée dans l'immense pièce, passer ce cours d'arts plastiques avec yungjae (habilement tourné en rencard), mais pour les mauvaises raisons.

alors l'étincelle d'effronterie qui ne la caractérise que trop bien se dévoile dans toute sa splendeur, à l'observer poser son pinceau sur sa toile désormais tachetée de couleurs, à se rendre compte qu'il la regarde à son tour. conscience évidente d'avoir piqué l'intérêt de son compagnon éphémère, première réussite. je te peins, tu me peins et celui qui fait le plus beau portrait peut faire du body painting sur l'autre. proposition aventureuse qu'elle s'accorde, sieun au terrible besoin d'accélérer les choses, afin de gagner le plus rapidement possible cet idiot de défi qu'elle a accepté et ainsi concrétiser le résultat qu'elle en tirera : qu'on la laisse enfin vivre son existence sans la pousser à trouver l'âme-soeur, elle qui a perpétuellement besoin d'être seule au monde et qui estime n'avoir besoin de personne.

malgré les idées plus sombres qu'elles ne le paraissent, le projet en tête lancé à son partenaire de la journée ne se révèle pas être totalement mensonge. sieun qui s'évertue à fermer son palpitant à une quelconque once de sentiments amoureux, ne soupçonne même pas les minuscules subtilités (encore trop invisibles) qui y sont lentement insufflées, et cache soigneusement la mystérieuse démangeaison qui gêne, celle d'apprendre à réellement le connaître, s'il veut bien s'ouvrir à elle. l'étudiante se surprend donc à espérer silencieusement une réponse positive, à sourire agréablement devant l'artiste improvisé, soupçon détectable d'espièglerie sur son faciès, sieun trop peu habituée à cacher ses réelles humeurs.

Peu satisfait par l'esquisse de sa peinture, Yungjae mordile sa lèvre inférieure, l'esprit clairement ailleurs. Peut-être aurait-il dû choisir le dessin au lieu des sciences politiques? Peut-être cela aurait-il fait abandonner son père de le façonner comme il le souhaite? Non. Pensée stupide. Comment cet homme aurait pu accepter un tel cheminement de la part de son dernier fils? Déjà que le patin artistique ne lui plaisait pas du tout... Il aurait réellement pouvoir démontrer à son parternel que la voie choisie pour lui n'était pas la bonne, mais ses notes excellentes - presque parfaites - prouvait bien le contraire. Si seulement il n'y avait pas Dowon pour le propulser en seconde position à quelques occasions... Inconsciemment, ses doigts serrent plus fort son pinceau et sa mâchoire se crispe.

C'est la voix de Sieun qui le ramène à l'instant présent pour se rendre compte que le pauvre pinceau n'a pas survécu à la force qui lui était imposée. Il cherche brièvement où le poser pour ensuite en choisir un autre et porter son attention sur la demoiselle à ses côtés. "C'est pas un peu unfair? C'est toi qui veux absolument faire du body painting, donc si je gagne, tu seras simplement plus frustrée." Un fait qui ne lui a pas échappé. "Mais j'accepte ton challenge, ça peut être amusant." Un léger rictus amusé étire le coin de ses lèvres. "Prépare-toi à perdre." Se retournant, il attire l'attention du professeur pour lui demander une nouvelle toile vierge. De toute façon, ce qu'il a entamé ne ressemble à rien, donc il préfère s'en débarrasser. Installant sa nouvelle toile sur son archet, sa voix basse s'élève une nouvelle fois. "A-t-on une limite de temps?"

Yungjae n'est pas un être si froid lorsqu'on apprend à le connaître. Enfin, aussi - et surtout - lorsqu'il veut bien laisser les autres l'approcher. Ce qui n'arrive pas souvent, voir jamais. Trop blessé dans son existence, il fait difficilement confiance aux gens qui l'entourent. Alors pourquoi est-ce qu'avec Sieun, c'est différent? Pourquoi la laisse-t-il approcher? Tant de questions et si peu de réponses. Il se sent simplement... bien (?) en sa présence. Évidemment, s'il savait la raison qui a poussé la jeune femme à l'approcher, tout serait différent. Largement différent. Néanmoins, pour le moment, il se trouve dans l'ignorance la plus totale et la chute n'en sera que plus douloureuse, puisqu'en lui grandit des sentiments qu'il n'est pas encore prêt à analyser. Par peur. S'il savait comme il a raison d'avoir aussi peur...

les coups d’œil sont doucement lancés en direction du garçon qui trône à côté d'elle, sieun le regarde subtilement se redresser (se crisper sur l'outil dans ses mains), à attendre la réponse tant espérée, davantage concentrée sur le faciès de yungjae que sur le pinceau qu'il vient d'abîmer. frustrée ? ça, c'est ce que tu supposes. et qu'est-ce qui te fait croire que c'est toi qui va gagner ? question ponctuée d'une réelle curiosité, car elle le sait, qu'elle est capable de créer la surprise et peut-être, de déceler chez elle une âme artistique éphémère, si elle s'en donne les moyens. elle a envie de croire en elle aujourd'hui, et à sa bonne étoile. peu importe l'issue du challenge, si yungjae tire la douce consécration de crier victoire, elle se rend compte qu'elle sortira tout de même secrètement gagnante, sieun aux envies indélébiles de créer un cocon plus intimiste entre eux, quitte à se pousser elle-même en dehors de ses retranchements habituellement bien gardés. réponse du partenaire qui lui fait esquisser un nouveau rictus, paroles de yungjae lancées comme mots magiques, alors que sieun goûte à la satisfaction d'avoir été entendue, proposition immédiatement acceptée. elle ne sait pas si elle a été convaincante, ou si yungjae a décidé d'approuver son défi pour l'unique allégresse d'être couronné vainqueur, mais elle n'en garde effectivement que le positif, la possibilité de découvrir yungjae autrement, et qu'il lui accorde davantage sa confiance. dans un coin de sa tête l'objectif qu'elle n'oublie pas, se rapprocher du garçon et faire chavirer son cœur pour remporter le pari initié par ses amis.

subitement, le monde côtoyé n'a plus d'importance autour d'elle, autour de lui, à oublier le cours et le devoir demandé par le professeur, préférant se concentrer sur la tâche qui accapare pleinement son esprit : trouver le moyen de rendre sa future peinture un minimum agréable à regarder, sieun qui n'a guère l'âme d'une artiste, malgré le fait d'aimer river ses pupilles sur les œuvres exposées dans les musées. j'aime ton état d'esprit... mais ne me sous-estime pas trop, tu n'as pas encore vu ce dont je suis capable. oui, la demoiselle n'y connaît rien, et fait pourtant mine d'être une experte en la matière, assurance d'une gamine écervelée, qui depuis toute petite, se sent surpuissante. il y a toujours la réalité qui fait redescendre de plusieurs étages son égocentrisme naturel, aujourd'hui, celle de ne jamais avoir réalisé un portrait. ok. prépare-toi à retirer ton pull. réponse immédiate, les mots soufflés d'audace, suffisamment pour tenter de l'effrayer et par la même occasion, le déstabiliser. mmh, disons dix minutes. on commence à trois. prêt ? un.. deux.. trois ! le pinceau encore immaculé vient immédiatement plonger sa tête dans la peinture carmine, sieun sachant déjà ce qu'elle souhaite faire, dédale de couleurs qu'elle veut voir sur sa toile, pour défier l'ordinaire.